La Vielle

Historique

« L'apparition de la vielle à roue reste obscure : ses origines, sa provenance ne trouveront peut-être jamais d'explication, sinon définitive, tout au moins satisfaisante, par insuffisances de preuves, les unes perdues, les autres anéanties par le temps ou détruites par les hommes ». (Louis Bonnaud) Le mot vielle viendrait du latin fidicula (petit instrument à cordes), déformé en fidula (bas latin) qui a donné le mot espagnol vihuela, le mot allemand Fidel et les mots français vièle et viole1.

Vers la fin du IVe - début du Ve siècle, saint Jérôme écrit une lettre où il parle des différents instruments de musique utilisés à cette époque. La vielle à roue n'y apparaît nullement. Au IXe siècle, Aymerie de Peyrac, dans une histoire de Charlemagne en vers latins, cite tous les instruments de musique alors connus, au nombre de vingt quatre. Or, l'instrument à manivelle n'y figure toujours pas. De même, aucune trace, écrite ou figurée, n'atteste de l'existence de l'instrument aux Xe et XIe siècles.

Ce n'est que vers le XIIe siècle que l'on trouve la trace d'un instrument garni de trois cordes qu'une roue met en vibration et qui se nomme organistrum. Il est évident qu'il s'agit de l'ancêtre de la vielle à roue, mais sa morphologie est différente de celle de l'instrument que l'on connaît aujourd'hui. Deux instrumentistes sont nécessaires, l'un pour tourner la roue et l'autre pour actionner les touches. L'organistrum est alors l'instrument qui accompagne les chants dans les abbatiales et les monastères.

Cet organistrum qui produit un son doux et harmonieux va prendre plus tard le nom de symphonie ou de ses multiples variantes2.

Sur un bas-relief du chapiteau de l'ancien cloître de l'abbaye Saint-Georges-de-Boscherville (Eure), on peut voir, gravé dans la pierre, un collège de musiciens, dont deux s'affairent à la manœuvre de cette symphonie. II existe une ornementation comparable sur le portail de l'église de Vermenton (Yonne) qui date du dernier tiers du XIIe siècle et qui représente une symphonie posée sur les genoux de deux musiciens.

Aux environs du XIIIe siècle, la symphonie sera supplantée par l'orgue dans les églises et va changer de milieu social. Jusqu'à la fin du XVÏÏe siècle, elle sera jouée principalement par les musiciens ambulants et les mendiants. Durant cette longue période, elle va subir de nombreuses transformations. Au XIVe siècle, la caisse présente des formes variées et se raccourcit, devenant ainsi transportable et pouvant être maniée par une seule personne.

Au XVe siècle, alors qu'auparavant on distinguait la vièle (vielle à archet) de la symphonie (vielle à roue), le seul nom de vielle va indifféremment désigner les deux instruments. C'est également pendant cette période qu'apparaissent les premiers bourdons de la vielle. Entre les mains du petit peuple, la vielle acquiert une image négative.

Certains auteurs (Mersenne, Trichet...) parlent d'elle en termes désobligeants.

1. Dictionnaire de la musique, science ie la musique, sous la direction de Marc Honegger, 1976, pp. 1073-1074.

2. Cifonie, siphonie, syphonie, chifonie, chiphonie, cinfonie, cymphonie, symphoine, chifornie, cyfanie, cyfoine, semphaine (Fr. Godefroy, Dictionnaire àe l'ancienne langue française, tome 2, 1883, p. 133).

Vielle du XX siècle.

De nombreux artistes (Jérôme Bosch au XVe siècle, Georges de la Tour au XVIIe siècle...) la repré­sentent aux mains des pauvres, des mendiants et des aveugles.

Vers la fin du XVIIe siècle, des membres de la noblesse ayant entendu les airs à la mode joués par des musiciens ambulants, vont s'éprendre de la vielle.

Au XVIIIe, l'engouement pour l'instrument se poursuivant, il va être réhabilité par l'opinion et atteindre son âge d'or. En effet, à l'époque, la mode est au rustique. La vielle va donc profiter de ce goût pour la bergerie et toutes les dames de la cour vont vouloir en jouer. Les plus grands musiciens de l'époque vont même composer de la musique pour vielle (chacones, menuets, sarabandes, sonates, concerti...). La mode conduit des membres de la famille royale et leur entourage à s'intéresser à l'instrument. Madame Adélaïde, le comte de Cheverny, le comte de Clermont auraient joué avec bonheur de la vielle...

C'est également à cette époque (1716) que le luthier Bâton imagine de transformer des guitares inutilisées en vielles. On ne voulut plus alors que des vielles à caisse de résonance plate, donnant un son à la fois plus fort et plus doux que les vielles du XVIIe. Quatre ans plus tard, ce même Bâton eut l'idée d'utiliser d'anciens corps de luths et de théorbes, ce qui donna naissance aux vielles dites en forme bateau, avec la caisse de résonance bombée.

La vielle connaît le succès à la cour, mais aussi en d'autres lieux. Elle est très vite adoptée dans les milieux urbains, notamment sur les boulevards ou au théâtre où Françoise Chemin, surnommée Fanchon la vielleuse, excelle dans plusieurs comédies et drames. La mode de la vielle se répand également en province où se multiplient les luthiers. C'est sous le règne de Louis XVI, couronné en 1774, que la vielle commence à être délaissée à Versailles. La mode passe et la vielle retombe dans la condition modeste où elle se trouvait auparavant. On la retrouve à nouveau dans la rue, jouée par les mendiants et les petits Savoyards migrants qui quêtent en viellant sur les routes de France.

Le XIXe siècle voit la vielle associée à la tradition régionale. C'est essentiellement dans le centre de la France que l'on retrouve l'instrument, particulièrement en Bourbonnais, où sont fabriquées la plupart des vielles par des luthiers de renom tels que Pajot, Pimpard, Nigout... Enrubannée, la vielle anime alors les fêtes votives et fait tournoyer les couples dans les noces.

Régressant tout au long du XXe siècle, la vielle ne subsiste que dans les campagnes. Le Berry et le Bourbonnais constituent alors le principal réservoir de vielleux. Maintenue pendant longtemps grâce aux groupes folkloriques et aux associations de musique traditionnelle, la vielle connaît toutefois aujourd'hui un renouveau, notamment par l'intermédiaire des Rencontres internationales des luthiers et maîtres sonneurs de Saint-Chartier (Indre). Certaines personnes vont même jusqu'à revoir la silhouette de l'instrument afin qu'il évolue de nouveau et qu'il reprenne un second souffle...

Têtes de vielles.

Description

« La vielle est un violon à clavier » pour Eugène de Bricqueville ; elle est « un instrument sonore à cordes mises en vibration par un archet-roue » pour le maître vielleux Gaston Rivière. Ces deux définitions incomplètes ne permettent pas de saisir le fonctionnement de cet instrument. Seule une description précise peut y remédier.

La vielle bateau est formée d'une caisse oblongue légèrement aplatie, coupée par le milieu dans sa plus grande longueur. La partie bombée, la caisse de résonance, qui repose sur les genoux du vielleux, est formée de neuf côtes de deux bois alternés (noyer foncé et érable sycomore clair) s'amenuisant en pointe vers leurs extrémités et collées par leurs tranches.

Le dessus de cette caisse est recouvert d'une mince plaque de sapin qui constitue la table d'harmonie sur laquelle est fixée la boîte du clavier.

Le clavier se compose de deux flasques percées de deux rangées de trous rectangulaires dans lesquels viennent glisser vingt-trois tiges de bois dur qui sont les touches. Ces touches sont terminées, sur la face avant, par une partie plate en bois sombre pour la rangée inférieure (treize touches pour les tons) et en bois clair ou en os pour la rangée supérieure (dix touches pour les demi-tons). Dans la partie située entre les deux flasques, les tiges sont munies de petites pièces de bois rectangulaires, sortes de coins biseautés ou arrondis, et possédant un petit tenon cylindrique : les sautereaux, qui sont fixés par leur tenon sur le dessus de la tige. Ces tenons entrent en force dans un petit trou cylindrique prévu pour les recevoir. Ainsi, ils peuvent pivoter pour accorder le clavier avec précision.

Sur la table d'harmonie, du côté droit pour le musicien, un évidement rectangulaire laisse passer la roue-archet (souvent en buis) dont l'axe fileté permet de fixer la manivelle et la poignée. Faisant suite au clavier et à la roue-archet, on trouve le grand chevalet des cordes chanterelles et leur cordier incliné fixé au bord de la caisse.

Sur la table, de chaque côté, entre la roue et le chevalet, se trouvent deux chevalets plus petits qui supportent les bourdons (pour celui sur l'avant) et les cordes nommées trompette et mouche (pour celui sur l'arrière).

A l'extrémité gauche de la boîte du clavier, collés latéralement, sont placés deux chevalets nommés oreilles qui supportent, à l'avant, les bourdons, et à l'arrière, la mouche et la trompette encore dite coup de poignet.

La boîte du clavier est terminée, à son extrémité gauche, par une pièce de bois sculptée (en forme de tête féminine le plus souvent), percée de six trous où passent les chevilles de réglage sur lesquelles s'enroulent les cordes : le cheviller.

La roue est protégée par un couvre-roue et le clavier est fermé par un couvercle qui facilitera le glissement de la main du musicien.

La roue-archet et la manivelle

La roue est en bois dur (buis, cormier, érable...) d'un diamètre proche de vingt centimètres. C'est en fait un archet sans fin sur lequel appuient les cordes. De son épaisseur, et de la nature du bois utilisé, vont dépendre la puissance et la sonorité de l'instrument.

La manivelle est en forme de S forgé à plat. L'une de ses extrémités est vissée sur l'arbre de la roue et l'autre porte une poignée en porcelaine ou en bois. La taille de cette manivelle sera fonction des caractéristiques physiques du joueur (âge, taille du bras, de la main, nervosité...).

La tension des cordes se fait à l'aide d'un accessoire fort simple, le tourne à gauche. Il s'agit d'une clé de bois dur, mortaisée à sa partie inférieure où se logent les têtes des chevilles sur lesquelles s'enroulent les cordes.

Au point de frottement de la roue-archet avec les cordes, celles-ci sont protégées par un enroulement de coton fin, sorte de gaine, qui évite à la fois une usure trop rapide des cordes et une sonorité trop criarde de l'instrument.

On enduit la roue de colophane pour la même raison que le violoniste en met sur les crins de l'archet : elle crée la friction nécessaire à la mise en vibration des cordes.

La varsovienne pour vielle