Le Père Jarraud

              Le 14 Février dernier, le jour de la Saint Valentin,

Louis JARRAUD, le dernier des « vrais chabretaires » a rejoint le paradis des musiciens.

 

           Aujourd’hui le Groupe d’Arts & Traditions Populaires de l’Ecole du Mont-gargan est triste ; triste d’avoir perdu  le plus ancien de ses membres, triste de voir partir l’un des derniers, sinon le dernier, des chabretaires routiniers à avoir connu les ultimes feux des bals de noces champêtres d’autrefois et le seul de ces musiciens traditionnels à n’avoir jamais renoncé à jouer.

Une mine de savoir musical et une référence que l’on venait consulter de très loin.

 

1936 : alors que la France découvre dans la liesse les premiers congés payés, Louis   JARRAUD, 26 ans à l’époque, tourne une page importante de sa vie. Celui qu’on venait chercher depuis des lieux à la ronde au pays du Mont-gargan, décide d’arrêter sa course de bals de noces, sa chabrette sous le bras, commencée cinq ans auparavant.

 

           Né à Sussac, le 3 Juillet 1910,  Louis s’installe à la Croisille sur Briance ou il vient de se marier : un mari sérieux ça ne court pas les bals !

C’est vrai aussi que jusque dans les campagnes les plus reculées, l’accordéon et le bal musette ont commencé à supplanter la chabrette et la bourrée.

 

           L’histoire du chabretaire de Sussac aurait pu s’arrêter là.

           Mais en ce milieu des années 30, sans doute parce qu’on sent que le patrimoine musical légué par les anciens est de plus en plus menacé, naissent les premiers groupes folkloriques : « l’Eicola dau Barbichet » à Limoges, et plus tard « l’Eicola dau Mount-gargan » à la Croisille sur Briance en 1936 (En 2006, ces groupes existent toujours !).

 

           D’une main que l’âge n’avait pas privé de sa dextérité, Louis montait la fine hanche de roseau sur le pied d’ivoire et d’ébène de son instrument.

           D’une amoureuse caresse, il glissait le ventre de sa chabrette sous son coude gauche, comme il faisait voici 83 ans quand son frère Jean, lui-même accordéoniste, lui offrit cette fameuse chabrette, dont il affirmait avec une jolie tournure dans sa langue Limousine « c’est la mienne préférée, je vais te faire voir la différence ! ».

           C’est vrai, la différence, on la voyait autant qu’on l’entendait dans les yeux embués de Louis qui se retrouve loin de nous en 1920, quand le gamin de dix ans courait les bals & les noces pour tenter de voler aux vedettes de l’époque, un air, un artifice, un doigté compliqué.

 

           C’est qu’il n’était pas facile en ce temps là d’obtenir les confidences de ces « stradivarius » de campagne qui gardaient jalousement leurs secrets de musiciens et de luthiers.

           Louis, lui, n’a pas suivi cette tradition du secret ; d’ailleurs, les disques faisant les mentions « recueilli auprès de Louis JARRAUD » dont très nombreux !

            A « l’Eicolo dau Mount-gargan », il a appris la chabrette à des dizaines de musiciens, bien peu hélas ont continué !

           Sa dernière élève en date a 33 ans maintenant, elle s’inscrit dans la longue lignée de plus d’un demi-siècle qui a vu se succéder auprès de Louis tout ce que la région comptait d’amateurs de chabrette, à commencer par Jean SEGUREL qui lui faisait fabriquer ses hanches devenues introuvables sur le marché.

          

           Tous les étés, dans sa petite maison du Barnagaud, Louis voyait débarquer d’étranges visiteurs qui ne parlaient que quelques mots de français mais portaient sous le bras le seul passeport connu chez les JARRAUD : une chabrette.

           Il y a quelques années de cela, il est venu un allemand, un jeune, il a sorti sa chabrette, Louis et lui se sont accordés et ils ont joué ensemble, abolissant les frontières de l’espace et du temps !

 

           Le soir venu, Louis, dans la pièce qu’il réserve à ses instruments, ce passionné réparait tout ce qui produisait des sons (vieille, accordéon, clarinettes…et aussi les pendules !), rangeait soigneusement côte à côte des pieds de chabrette, comme des petits soldats pour la revue de détail. Il y avait là le grand pied en La, celui en Sol, celui en Sol Bémol…

           Petite armée qui triompha autrefois sur les champs de bataille des cantons de La Croisille sur Briance et Sussac et qui ne s’est jamais résolu à capituler.

 

1996 : devant tous les habitants de la Croisille sur Briance et des membres de « L’Eicola dau Mount-gargan », Louis s’était vu remettre la Médaille d’Or du Mérite Folklorique. Cette distinction créée voici cinquante ans est destinée aux serviteurs du folklore et de ses traditions.

           Dans son cas, elle récompensait 57 ans passés avec dévouement, compétence et gentillesse au service du folklore Limousin.

 

           Son monde, c’était la musique, celle de notre beau pays, celle qui puise ses racines au plus profond de nos êtres, de notre terroir Limousin.

          

           Pour toutes ces années donnaient aux autres, à votre groupe « l’ Eicola dau Mount-gargan », vous qui avez consacré toute votre vie à la musique d’Ici, nous tenions, par ses quelques lignes, à vous dire que alliez beaucoup nous manquer !

 

2006 : Louis s’en est allé.

 

Merci pour tout M. JARRAUD !

 

Merci

Louis JARRAUD !